Peu importe leur ordre, car de même qu’il n’existe pas, au sens strict du terme, de » haut » et de » bas » dans l’univers, les trigrammes ne peuvent être classés 1°, 2° etc.. que par une simple commodité de langage. C’est ainsi que socialement parlant, un ministre sera placé au-dessus d’un paysan, mais pour le ciel (le Tao), il ne s’agit là que de fonctions transitoires dans l’humain. Une fonction ne saurait être » au-dessus » d’une autre puisqu’elles sont toutes destinées à se transformer et à se renouveler.
K’IEN : LE CRÉATEUR Le créateur est dit ce qu’il y a de plus puissant au monde. Son animal symbolique est le cheval. Comme symboles, le ciel, le père, le jade, le froid, la glace, le métal, le rouge sombre, le dragon, le vêtement de dessus, la parole, le prince, la pierre précieuse, le rond, l’or. Toutes ces notions qui paraissent dispersées et contradictoires sont confirmées par les tirages; elles sont nécessairement symboliques. Dans le graphisme de K’ien, le soleil aide les plantes et les racines à croître. Le principe premier – un homme écartant les bras, figurant l’architecture divine, ce qui se trouve au commencement – s’abrite sous un toit. L’ensemble évoque bien la force et la puissance. On sait le rôle du père dans la civilisation Balance/Cancer de l’ancienne Chine.
K’OUEN : LE RÉCEPTIF Le réceptif est la terre, la mère, la passivité, le noir, la foule, l’obscurité, une étoffe, le chaudron, l’économie, le veau avec la vache, un grand char, la forme, la multitude, l’enfant, le jaune, la jupe, la mouche, le carré, le sac, le tronc. Du point de vue symbolique, la terre supporte la vie comme une étoffe, un vêtement. Dans le chaudron, les choses cuisent jusqu’à maturité, la terre, de même, est le grand creuset de la vie. La mère s’occupe de la nourriture, fonction essentiellement lunaire. La lune brille de nuit; le veau et sa vache sont des symboles de fécondité, etc… De même que toute vie sort de terre, les rameaux sortent dû tronc, etc.. Le graphisme de ce trigramme montre un axe symétrique par rapport à deux mains opposées agissant dans un sens de fécondité, mais aussi d’équilibre, des forces en présence. Il s’agit d’un repos, d’une inertie féconde, d’un abandon à une volonté cosmique. Une plante sortant de terre se développe à gauche. État neutre donc, mais puissamment fécond, non pas absence de force, mais son support naturel, tout comme sur le plan humain l’utérus attend le germe pour le nourrir.
TCHEN : L’ÉVEILLEUR Le Yang et le Yin se trouvaient parfaitement figurés, à leur extrême, dans les deux précédents trigrammes. Il s’agissait du plus extrême du masculin (K’ien) et du plus extrême du féminin (K’ouen). Le symbolisme des traits continus évoquait le mâle et ses organes de génération par lesquels la vie continue. Celui des traits discontinus, coupe, trou, cavité, replis, ruissellement, les organes génitaux féminins, dans lesquels descend le germe, où il s’élabore, et où l’enfant vient au monde et au souffle de vie. On comprend leur place respective de père et de mère, la famille étant pour l’ancienne Chine, le lieu où s’élabore une fécondité et où se perpétue l’esprit ancestral. Du reste, aujourd’hui, la dislocation de la famille ne figure-t-elle pas la dislocation de la société et » la lutte des classes » ? L’Éveilleur est le fils aîné, le bambou jeune et vert, le jonc, le roseau le mouvement, le tonnerre, le jaune sombre, ce qui s’étend, le dragon (animal mythique), la décision, la véhémence, l’agatisation, les pieds, la secousse, le tambour, le retour à la vie, le corbeau, ce qui est fort et croît de façon luxuriante. Au point de vue annalistique, la grande rue, qui dépend de » L’Éveilleur » est au printemps la route menant tout élément vers la vie. Bambou, roseau, jonc, ont une croissance très rapide. Etc…
K’AN : L’INSONDABLE, L’ABÎME Ici, le trait plein, yang, se trouve entre deux traits yin, qui l’assiègent et le minent. Il ne faut pas croire pour celà que ce trigramme est » mauvais « . Il fait partie d’un plan cosmique où il est difficile de rien isoler. Les jugements de valeur ne peuvent être portés que par rapport à une situation donnée. Ainsi, pour la nature, un processus d’oxydation cellulaire ou de pourrissement est aussi indispensable qu’un processus de nutrition et de croissance. La graphie de K’an désigne une plante et, à sa droite, à côté, des souffles vomis d’une bouche, qui peut être une cavité, un gouffre, une grotte, comme autrefois Delphes, bouche dont les mystères orphiques constituaient un élément et un processus nécessaires, religieux et sacré. C’est la raison pour laquelle, dans une tentative d’élucidation pour les étudiants ou lecteurs connaissant l’astrologie, nous relions les effets de K’an et son principe à Mars/Pluton, une action dirigée vers le bas (les ténèbres), en tout cas vers le yin, où elle se dissout sans pour autant perdre sa force. Ces influx, liés à » la descente aux enfers » qui constitue une souffrance, une crise, une purification et la mort ou la paralysie d’une partie du » moi « , précédant une ouverture à d’autres valeurs, peuvent être dangereux. Les vapeurs émises de cette » bouche » (signe du Taureau, celui de la bouche, face à celui du Scorpion, signe des enfers et de la métamorphose) sont des vapeurs délètères (qui mettent la vie en danger, vu la racine grec délétêrios : nuisible) et méphitiques. La lave volcanique doit brûler (elle s’accompagne d’ailleurs d’acides et de gaz délétères) avant d’être un support fécond pour la végétation et la vie nouvelles. K’AN est l’oreille, les fosses, le piège, l’arc, la flèche, l’occulte, le secret, le voleur, la lune, l’appartement retiré (intérieur), le rouge, les calamités, les maux d’oreille, la mélancolie, les malaises cardiaques, l’eau, le porc, le fossé, le renard. Embûche, détour, indécision. Le fait de se redresser et de se courber. Analogiquement, ce dernier fait est celui du serpentement de l’eau. La courbure de l’arc et de la flèche procède de la même vision analogique. Le sang étant le liquide du corps, la couleur du trigramme est le rouge, (couleur plus affaiblie que K’ien). Les êtres venant et se sauvant en secret sont des voleurs. Etc..
KEN : L’IMMOBILISATION Le trigramme se lisant de bas en haut, nous voyons les traits yin (ouverts en leur centre) laisser passer le courant de forces, qui s’immobilisent contre le trait yang, pesant sur l’ensemble, et amenant une immobilité et une rigidité totales. La fermeté, la solidité, l’arrêt, la permanence, en découlent. Le schéma graphique représente un oeil au-dessus d’un homme debout. Ken gouverne l’immobilisation, le chien, le rat, les oiseaux à bec noir, le chemin détourné, les portes, les pierres, les ouvertures, les fruits et semences, la montagne, le moine, le nez, les eunuques, les gardiens, la solidité. Analogiquement, les sentiers détournés sont ceux des chemins de montagne, les gardes immobiles près des portes font figure de rigidité, etc… Le chien, de même, veille près des ouvertures, etc…
SOUEN : LE DOUX (transcrit phonétiquement, aussi, HSUAN ou SOUN : De part et d’autre du plateau d’une table, deux mandarins se trouvent en discussion (ils tiennent un sceau, dont une partie, comme preuve, demeurait aux archives). SOUEN, le doux, représente la fille aînée et adulte, le travail, le blanc, le haut, le long, l’avance et le recul, l’indécision, l’acte d’entrer, la précipitation, le front large, la poule, l’odeur, la cuisse, le bois, le vent, l’élévation, un bénéfice prochain, la branche de l’arbre, la trame de l’étoffe, les hommes âpres aux gains, la véhémence, les hommes aux cheveux gris, le cordeau. L’acte d’entrer se réfère au schéma lui-même et il offre naturellement un sens sexuel (symbole vaginal et col de l’utérus, relié à la jeune fille adulte, c’est-à-dire nubile. On sait le rôle joué dans les fabliaux du Moyen-âge par la clé et la serrure; une telle interprétation à la fois mystique et érotique est aussi celle admirable de poésie – du Cantique des Cantiques). Le blanc est une couleur yin (c’est la couleur funéraire chinoise, et l’ensevelissement du corps, qui va, en tant que dépouille mortelle, opérer une transformation essentielle à l’abri des regards, est un temps yin). L’avance et le recul sont dépeints par le vent, à la direction changeante et fugitive. Les hommes aux cheveux gris et clairsemés ont du blanc dans leur chevelure. La violence est le défaut des hommes âpres au gain et le trigramme se change peu à peu en son contraire, suivant la loi de l’équilibre Yin/Yang, c’est-à-dire en TCHEN.
LI, CE QUI ADHÈRE, CE QUI S’ATTACHE Sa graphie représente un yak, animal de trait qu’on voit sur les hauts plateaux, et qui remplace notre boeuf. De même que sur notre plan astrologique, le taureau est un signe de force, d’accroissement (ceux-ci procurés par la chair et la nutrition : Vénus/Lune, les maîtres du signe) nous retrouvons ici l’idée essentielle de force. A. ses côtés un oiseau, équilibre, beauté et possibilités spirituelles du domaine symbolisé par l’élément aérien. Li est ce qui s’attache, le feu, la fille cadette, la cuirasse, le casque, la sécheresse, la tortue, le crabe, l’escargot, la moule, le caret, les lances, les armes, le soleil, l’éclair, le rapprochement ou la séparation, le faisan, l’oeil, la postérité, les reptiles, le ventre proéminent. L’analogie vient du caractère du trigramme, ferme à l’extérieur, mou à l’intérieur (le gros ventre…) et de ses significations de ,feu, sécheresse et chaleur. Le crabe par exemple est mou à l’intérieur de sa carapace, etc..
TOUEI ou TUI : LE JOYEUX C’est le lac, la plus jeune fille, la bouche, la langue, le gosier, une magicienne, écraser et briser en multiples, tomber, jaillir, la sérénité, la sentence de justice, la balance, la petite fille, le marais, le bélier, le devoir, la décision dans l’union ou la séparation, la dureté, la concubine, le mouton, le plaisir. Le graphisme du signe évoque un gosier et une bouche qui partage – par son avis – une question en deux sanctions égales ou deux décisions. D’où justice, équilibre et sérénité. Le graphisme du signe évoque un gosier et une bouche qui partage – par son avis – une question en deux sanctions égales ou deux décisions. D’où justice, équilibre et sérénité.
Présentation du Livre des Mutations
(Extraits de l’Introduction de Richard Wilhelm à sa traduction du Yijing) « Le Livre des Transformations, en chinois Yi King [pinyin : Yijing], appartient incontestablement aux livres les plus importants de la littérature universelle. Ses origines remontent à une antiquité mythique. Il occupe aujourd’hui encore [dans les années vingt] l’attention des plus éminents lettrés de la Chine. Presque tout ce qui a été pensé de grand et d’essentiel pendant plus de 3 000 ans d’histoire de la Chine, ou bien a été inspiré par ce livre, ou bien, inversement, a exercé une influence sur son interprétation, au point que l’on peut affirmer en toute tranquillité que le Yi King contient le fruit de la sagesse la plus achevée de plusieurs millénaires. Il ne faut donc pas s’étonner si, en outre, les deux branches de la philosophie chinoise, le confucianisme et le taoïsme, ont ici leurs communes racines. […] »
« Le grand renom de sagesse qui entoure le Livre des Transformations a, sans aucun doute, été cause qu’un grand nombre d’enseignements mystérieux dont la source se trouvait dans d’autres courants de pensée – peut-être même certains étaient-ils d’origine étrangère à la Chine – ont pu, avec le temps, venir se greffer sur la doctrine primitive. A partir des dynasties Tsin et Han, on a vu naître et progresser une philosophie formelle de la nature qui a enserré l’univers intellectuel tout entier dans un système de symboles numériques, et enclos toujours plus étroitement la vision chinoise du monde tout entière dans des formes rigides, en combinant une doctrine, développée avec rigueur, du Yin et du Yang où l’on discerne l’empreinte d’un dualisme, avec les « cinq états de transformation » tirés du Livre des Annales[Shujing]. C’est ainsi que des spéculations cabalistiques toujours plus alambiquées ont enveloppé le Livre des Transformations d’un nuage de mystère. Enfermant le passé et l’avenir tout entiers dans leur schéma numérique, elles ont conféré au Yi King la réputation d’un livre d’une profondeur totalement incompréhensible. […] »
« Le Livre des Transformations était à l’origine une collection de signes à usage d’oracles. Les oracles étaient partout en usage dans l’antiquité et les plus anciens d’entre eux se limitaient aux réponses « oui » et « non ». Ce type de jugement oraculaire se trouve également à la base du Yi King. Le « oui » était exprimé par un simple trait plein et le « non », par un trait brisé . Cependant la nécessité d’une différenciation plus grande paraît s’être fait sentir de très bonne heure et les traits simples donnèrent naissance à des combinaisons par redoublement auxquelles un troisième élément vint encore s’ajouter, produisant ainsi la série des huit trigrammes. »
« Ces huit signes furent conçus comme les images de ce qui se passe dans le ciel et sur la terre. Cette manière de voir était gouvernée par la pensée d’une transformation incessante des signes l’un dans l’autre, tout comme on voit, dans l’univers, les phénomènes passer constamment d’une forme dans une autre. Nous tenons là l’idée fondamentale et décisive du Livre des Transformations. Les huit trigrammes sont des signes d’états de passage changeants, des images qui se transforment continuellement. Ce que le Yi Kinga en vue, ce ne sont pas les choses dans leur essence – comme ce fut principalement le cas en Occident –, mais les mouvements des choses dans leur transformation. Ainsi les huit trigrammes ne sont pas les figures des choses, mais celles des tendances de leur mouvement. Ces huit images ont pu recevoir en outre de multiples interprétations. Elles ont représenté certains phénomènes dont la nature correspondait à leur propre essence. Elles ont également formé une famille composée du père, de la mère, de trois fils et de trois filles, non au sens mythologique, comme, si l’on veut, l’Olympe est peuplé de dieux, mais dans un sens en quelque sorte abstrait où elles représentaient non des choses, mais des fonctions. » Cf. Wilhelm (Perrot) p. 3-6
Histoire du livre des Mutations
« La littérature chinoise attribue la composition du Yi King à quatre saints personnages: Fo Hi, le roi Wen, le duc de Tchéou et Confucius. Fo Hi est une figure mythique, le représentant de l’ère de la chasse, de la pêche et de l’invention de la cuisson. Quand il est désigné comme inventeur des trigrammes, cela signifie qu’on assignait à ces figures une antiquité telle qu’elle précédait tout souvenir historique. Les huit trigrammes primitifs ont également des noms qui n’apparaissent pas ailleurs dans la langue chinoise, ce qui a fait conclure à leur origine étrangère. En tout cas, ces signes ne sont pas d’anciens caractères d’écriture, comme on a voulu le déduire de leur concordance mi-fortuite, mi-consciente, avec tel ou tel ancien caractère. »
« On rencontre très tôt les trigrammes combinés entre eux. Mention est faite de deux collections remontant à l’antiquité : le Yi King de la dynastie des Hia [Xia, 2205-1766 av. J.-C., suivant la tradition], appelé Lien Chan, qui aurait débuté par le trigramme Ken, l’immobile, la montagne, et celui de la dynastie des Chang [Shang, 1766-1150 av. J.-C., suivant la tradition] appelée Kouei Tsang qui commence avec K’ouen, le réceptif, la terre. Confucius signale en passant cette dernière circonstance comme historique. Il est difficile de dire si les 64 hexagrammes existaient dès cette époque et, dans l’affirmative, s’ils étaient les mêmes que ceux de l’actuel Livre des Transformations. »
« Notre collection des 64 hexagrammes provient, suivant la tradition générale que nous n’avons aucune raison de mettre en doute, du roi Wen, ancêtre de la dynastie Tchéou (Zhou, 1150-750 av.J.C.). Il les dota de brefs jugements alors qu’il était détenu en prison par te tyran Tchéou Sin. Le texte ajouté aux différents traits est dû à son fils, le duc de Tchéou. Cet ouvrage fut utilisé comme livre d’oracles pendant toute l’époque des Tchéou sous le titre de « Transformations de Tchéou » (Tchéou YiZhouyi), ce qui peut être prouvé à l’aide de témoignages historiques de l’antiquité. Tel était l’état du Livre lorsque Confucius le découvrit. Il se consacra à son étude assidue dans son grand âge et il est très vraisemblable que le « Commentaire sur la décision » (Touan Tchouan) a été composé par lui. Le « Commentaire sur les images » remonte également à lui, bien que de façon moins immédiate. Par contre, il existe un commentaire sur les différents traits, d’un grand intérêt et très détaillé, qui fut réalisé par des disciples ou par leurs successeurs sous forme de questions et de réponses, et dont nous ne possédons plus que des bribes (en partie dans le chapitre Wen Yen et en partie dans le chapitre Hi Tsi Tchouan). » Cf. Wilhelm (Perrot) p. 12-13